Photo : Shutterstock/Per Bengtsson
Les tensions entre le Kosovo et la Serbie prennent une nouvelle dimension avec l’entrée en vigueur, il y a un an, d’une loi imposant l’euro comme seule monnaie légale au Kosovo, interdisant ainsi l’usage du dinar serbe. Cette décision a provoqué de vives réactions de la minorité serbe du nord du pays, qui perçoit cette mesure comme une attaque contre son identité et son lien avec Belgrade.
L’euro, un instrument de souveraineté pour le Kosovo
Depuis son indépendance en 2008, le Kosovo utilise l’euro sans être membre de la zone euro, un choix qui lui permet de stabiliser son économie. Cependant, dans le nord du pays, où vit une importante communauté serbe, le dinar serbe reste largement utilisé, notamment pour les paiements des salaires, des retraites et des allocations sociales versés par Belgrade. L’interdiction de cette monnaie est donc perçue comme une tentative d’affaiblir l’influence de la Serbie sur cette région contestée.
Pour Pristina, cette réforme vise avant tout à renforcer l’État kosovar en uniformisant le système monétaire et en réduisant les flux financiers incontrôlés en provenance de la Serbie. Le Premier ministre Albin Kurti affirme que cette décision relève de la souveraineté nationale et du bon fonctionnement du système financier.
Une décision qui exacerbe les tensions avec la Serbie
De son côté, la Serbie dénonce une violation des droits de la minorité serbe et un nouvel acte de provocation de la part du gouvernement kosovar. Le président Aleksandar Vučić a qualifié cette mesure de “politique discriminatoire”, affirmant qu’elle met en péril des milliers de citoyens serbes du Kosovo qui dépendent des aides en dinars. Belgrade a également alerté la communauté internationale sur les risques de nouvelles violences dans la région.
L’interdiction du dinar serbe au Kosovo ne se limite pas à une simple réforme monétaire : elle révèle des fractures profondes et exacerbe les tensions entre Pristina et Belgrade, avec des conséquences multiples sur le plan économique, social et diplomatique.
La communauté serbe du nord du Kosovo se retrouve en première ligne de cette crise. Dépendant des fonds publics serbes – pensions, salaires des fonctionnaires, aides sociales – elle risque de voir ses moyens de subsistance fragilisés. L’impossibilité d’utiliser le dinar complique les transactions quotidiennes, notamment pour les paiements dans les commerces et les services publics. Sans mécanisme de transition clair, de nombreuses familles pourraient se retrouver en difficulté, alimentant ainsi un climat d’instabilité.
Par ailleurs, cette mesure risque d’aggraver le sentiment d’exclusion de la minorité serbe. La suppression du dinar est perçue comme une tentative de forcer l’intégration des Serbes au système kosovar, ce qui pourrait renforcer leur défiance envers Pristina et exacerber les tensions identitaires.
Sur le plan politique, la mesure vient ajouter un nouveau point de friction à une relation déjà tendue entre le Kosovo et la Serbie. Belgrade, qui ne reconnaît pas l’indépendance du Kosovo, considère cette réforme comme une nouvelle provocation de la part du gouvernement d’Albin Kurti. Aleksandar Vučić a déjà dénoncé une atteinte aux droits fondamentaux des Serbes du Kosovo et a saisi la communauté internationale pour protester contre cette décision.
Les tensions sur le terrain pourraient rapidement dégénérer. Dans le passé, les différends entre Belgrade et Pristina ont déjà mené à des affrontements violents, notamment en mai 2023 dans le nord du Kosovo. L’interdiction du dinar risque de raviver ces conflits, avec des manifestations qui pourraient dégénérer en heurts entre forces de l’ordre kosovares et populations locales. Il peut y avoir également des incidents frontaliers, alors que la Serbie maintient une présence militaire importante près de la frontière.
Cette crise monétaire s’inscrit dans un contexte plus large de tensions entre l’Union européenne, qui soutient le Kosovo, et la Serbie, proche alliée de la Russie. Bruxelles tente d’apaiser la situation en appelant Pristina à appliquer la réforme de manière progressive et en négociant des solutions alternatives pour éviter un effondrement économique des enclaves serbes. Toutefois, si le Kosovo campe sur ses positions, cela pourrait affecter son rapprochement avec l’UE, notamment dans le cadre des négociations d’adhésion.
De son côté, la Serbie pourrait exploiter cette crise pour renforcer son influence sur les Serbes du Kosovo et dénoncer un manque de respect des accords internationaux. Cela compliquerait les efforts européens de stabilisation des Balkans, une région encore marquée par les conflits du passé.
Vers une nouvelle impasse ou une solution négociée ?
L’évolution de cette crise dépendra de la capacité des acteurs à trouver un compromis. Une solution transitoire, comme l’instauration de bureaux de change facilitant la conversion du dinar en euro, pourrait permettre d’atténuer les tensions. Mais si Pristina et Belgrade restent sur des positions rigides, le risque d’une escalade, voire d’un affrontement direct, ne peut être écarté.
Dans ce contexte, l’Union européenne et les États-Unis devront jouer un rôle clé pour éviter une nouvelle crise dans les Balkans, alors que la région demeure une zone stratégique aux équilibres fragiles.
Les commentaires
Pas encore de commentaires. Soyez le premier à commenter cet article !